David Simon, le fondateur de The Wire.

David Simon, auteur de la série culte The Wire (Sur écoute). C’est une des rares séries qui a eu un titre français et qu’on a oublié. D’abord journaliste dans un canard local, il va passer des piges aux livres avec un premier pavé en 1991 : Baltimore. Avec le succès de The Wire aux États Unis et ensuite en Europe (la série américaine est actuellement diffusée sur la chaîne France Ô), il ressort ses bouquins traduits en français par les éditions Sonatine. Je l’ai rencontré le 11 octobre, chez mes amis de Nova.

«Omar c’était le mythe de l’antihéros»

Mon travail sur la ville de Saint Denis (Seine Saint Denis), classée première ville criminogène a suscité de nombreux parallèles avec le territoire de Baltimore. Dans The Wire, les tôliers du ter-ter se succèdent : Stringer Bell, Marlo. Dans Les Anges ou Des Chiffres Et Des Litres aussi : Houssine, Said Bensama et ses frangins. Après la rencontre, j’ai réalisé que la force de Simon avait été de réunir les meilleurs auteurs pour ce qu’on peut appeler la meilleure série. The Wire n’a rien d’un mythe. The Wire vous plonge dans la ville et ses problématiques. The Wire reste une expérience inédite et met face à face deux camps. La police et les trafiquants. Mais avant des les opposer on passe par le territoire et son histoire pour ensuite pleinement vivre son présent.

La venue pour la première fois dans l’Hexagone de David Simon reste un paradoxe temporel. Il débarque en France pour parler de son Baltimore alors que ce projet date d’avant la fameuse série. Dans la pièce, le bar débite les boissons. Des tables présentent des petits fours et des confiseries. David débarque avec François, le boss de Sonatine. Il prend le temps avec chaque invité. Il fait le tour des convives, salut tout le monde. David Simon a beaucoup d’heures de vol. Peu d’heures de sommeil. Il se sert un verre de « sky » et s’installe à coté de son interprète. Les questions commencent et Léo Haddad, journaliste chez Technikart présente le personnage. Installé dans le canapé, il pose son verre et parle de son pavé de 900 pages :  « J’ai travaillé sur ce projet bien avant la série, j’étais encore journaliste pour Baltimore Sun, le journal de Baltimore dans la rubrique homicide. J’avais 27 ans et dix kilos en moins (rires). Mes livres ont plutôt bien marché aux États Unis. Et la série The Wire a tellement bien fonctionné  en Europe que mes livres ont réussis à se faufiler par une porte dérobée. J’aimerais dire que j’en ai plein mais ce n’est pas le cas (rires) ».

David Simon n’est pas un mec de Saint Denis mais aime la chambrette. Il en place une à chaque fin de phrase comme si le hip-hop chez les cainri était quelque chose d’innée. La répartie, il en a. En France, les auteurs de Polars se connaissent et ont des références. Le polar est un genre qui dénonce la société souligne ses mondes parallèles. Avec mes romans, Des Chiffres Et Des Litres, Les Anges S’habillent En Caillera, j’ai compris par les retours que j’avais peint une ville de Saint Denis sombre. Une ville de Saint Denis sans espoir. L’avantage du roman noir ou du polar. Alors quelles sont les références pour ce producteur et auteur ? David Simon n’est pas fan de polar : « Non. Mais je m’y suis mis depuis et cela a complètement changé mes lectures. A l’époque je survolais le contenu mais c’était des documents d’immersion et cite des livres non-traduits en France. Il y en a un sur le base-ball, peu importe le sujet. L’idée c’était de passer du temps avec un joueur de base-ball, un type de Silicone Valley ». Pourtant les auteurs contemporains ont salué la fameuse série et ses auteurs. Dans The Wire, n’oublions pas qu’il y a un grand nom, Georges Pelecanos. Un cainri qui a marqué son temps et la société américaine avec sa plume. Son style et son écriture se démarquent par le rythme, ses détails et l’aspect documentaire. Ses romans sont très musicaux et dans la même veine que les écrivains noirs américains avec une dimension cinématographique.

«J’ai été celui dont on s’est moqué»

Mais revenons à David Simon. En immersion pendant un an dans le service de la police de sa ville. Comment a-t-il réussi à se faire accepter ? « J’ai été celui dont on s’est moqué et je l’ai accepté : c’était une manière de se faire accepter. Être avec des policiers, c’était comme être une souris dans une pièce remplie de chats. Je me souviens que j’avais fait une immersion avec les Marines. Je venais de Rolling Stone magazine, média de gauche et donc forcément suspect aux yeux des marines. Il y a eu un exercice d’entraînement avec la mise de combinaison et j’ai mis ma tenue avec une telle frénésie que c’est rentré dans mon derrière et les mecs étaient morts de rire. J’ai compris à ce moment qu’ils ne refuseraient pas de répondre à mes questions ». On l’a compris, il a fait le guignol de service pour observer, noter, retranscrire. Mais comment on peut se lier avec un service de police. Comment a-t-il réussit à se faire discret ? « Je les connaissait déjà car je travaillais depuis quatre ans dans la rubrique homicide du Baltimore Sun. J’étais en immersion dans une équipe de 19 policiers et forcément il y avait parmi eux, de mauvais flics. Mais les deux avec lesquels je travaillais étaient vraiment bons. Plus je travaillais avec eux, plus je voyais des nuances et j’assimilais leurs méthodes de travail. Les techniques d’interrogations lors d’interrogatoires.  Un des deux flics ressemblait à un ours polaire. Il ne parlait pas » David Simon a accroché sur ces deux flics dont celui qui ressemblait à un ours polaire et lâche une anecdote sur ce dernier. « Un gamin de quinze ans était en garde à vue pour une affaire de meurtre. Le policier était dans la salle et ne disait rien. Mais son silence voulait dire « Tu ne veux rien dire. tu me déçois ». L’adolescent a fini par craquer et balancer tout ce qu’il savait sur le meurtre. Le gamin a fait passer un mot sur une feuille disant que « Ce serait l’enfer de l’avoir comme père ». Cela montre la subtilité de ce métier »

«Il y avait un rat tellement énorme qu’il avait fait fuir un chat»

Un romancier se nourrit d’éléments et les lie selon son idée. Un auteur peut se nourrir de matière brute et la sublimer. David Simon s’inscrit dans ceux-là. Il se souvient de trois événements qu’il a romancés. « L’histoire principale de Baltimore a rythmé toute l’année le service homicide. Ils ont retrouvé le corps d’une jeune adolescente et n’avaient aucun indice pour avancer. Les enquêteurs sont allés sur les lieux du meurtre puis partis voir les dealers pour les interroger. Les trafiquants n’ont rien à voir avec ce genre de meurtre. Un des flics s’est rendu sur le point de vente et un des garçons a essayé de lui vendre de la drogue. Il nous a rejoint et nous sommes retournés sur les lieux du crime. Quand les flics étaient dans la ruelle, il y avait un rat tellement énorme qu’il avait fait fuir un chat. Si on reste avec le point de vue, très littéral des policiers.  Les trois événements n’ont rien à voir : le meurtre de la fille, le jeune qui essaie de vendre de la came, l’énorme rat… Mais pour moi, l’écrivain avec un point de vue et il suffit que je triche, d’un point de vue métaphorique il y a quelque chose d’énorme ! La métaphore est intéressante et il faut rester proche de la réalité mais trouver à quel moment tricher ? ». La même technique que dans mon premier roman Les Anges s’habillent En Caillera. J’avais utilisé trois vecteurs, un voleur à la ruse, un ex-pote qui trahit pour une dette et un flic ripoux. Trois éléments sans lien que j’ai réuni et qui donnent la trame du roman.  Les propos de David Simon me parlent et correspondent à mon point de vue. Il restait un angle, celui de cette fameuse plongée dans la ville à interroger les habitants, prendre la température pour restituer ce climat et les caractéristiques de Saint Denis. David Simon a pris beaucoup de notes et quel a été l’usage de son contenu ? « On est à la frontière du travail de journalisme. Tous les événements se sont produits. A la fin de l’année, j’avais 300 blocs notes et tout le monde triche. J’ai accéléré la narration pour faire avancer l’histoire. Tout aurait pu se dérouler, il y a des choses qui se sont déroulées et d’autres pas».

Au même titre que Saint Denis dans Les Anges S’habillent En Caillera ou Des Chiffres  Et Des Litres, on a l’impression que Baltimore, ce contexte et que cette ville est le théâtre d’une tragédie et que cela a influencé tout le reste de son travail. Par exemple, The Corner (autre série écrite et produite par Simon) permet de voir le parallèle entre le management  des équipes de deal et des effectifs de police. « On a crée ces parallèles pour faire avancer l’histoire.  La guerre contre la drogue ne fonctionnait pas et des eux cotés celui des policiers et des dealers se sont perdus dans une guerre qui n’avait pas lieu d’être. J’ai travaillé sur The Corner pendant quatre ans et dans la technique je me suis amélioré après cette expérience. Je faisais plus attention à ce que je faisais. J’étais plus exigeant. J’ai appris plein de choses mais il y a aussi d’autres choses que je n’ai pas apprises ». La première expérience est toujours enrichissante et bénéfique. Je ne peux m’empêcher de comparer les délais d’écriture. Un an et demi pour Les Anges S’habillent En Caillera. Cinq mois pour Des Chiffres Et Des Litres. Deux mois Pour Flic Ou Caillera. Effectivement, je rejoins l’auteur et scénariste. Chaque projet nous enrichit et nous rend plus efficace.  De mieux « gérer ». Avec mes romans, j’avais fait des déçus ou des gens fiers quant à leur portrait dans mes histoires. Mon personnage principal, Le Marseillais (son surnom) m’avait reproché de se faire voler la vedette par Stéphane, mon flic ripoux et autre personnage du roman. Je me posais la question sur les réactions des policiers après la publication de son roman. « Il y a des policiers qui étaient d’accord et d’autres dont j’ai perdu l’amitié ». Comment vous avez travaillé sur The Wire. Il a collaboré avec Pelecanos, Richard Price. « Absolument. Un des enquêteurs et un des personnages dans le livre qui est devenu instituteur. C’est quelqu’un de très étrange et d’autodidacte. Lui, c’est un cas à part mais les autres auteurs se servent du polar pour explorer des thèmes plus profonds. Et en les réunissant on ne pouvait pas rêver de meilleurs scénaristes pour une série. Quand on pense aux scénaristes classiques sur les chaines non payantes tu verras une différence ». Est-ce utile de préciser que  Les experts et The Wire ce n’est vraiment pas la même chose ?

«Avec The Wire, c’était plus simple»

Encore une fois, The Wire est un peu le point culminant de sa carrière et l’expérience a parlée. « Avec The Wire, c’était plus simple car j’avais une expérience avec Baltimore, The Corner. Les dealers de la rue Fayette avaient cette tendance troublante et des drogués dans cet environnement avaient cette tendance troublante de montrer leur humanité. Faire preuve d’humanité. Pendant trois ans, j’ai travaillé sur ce projet et après avoir passé tant de temps avec ces gens, on ne peut pas revenir à une version manichéenne ». Il est légitime de s’interroger sur le format de la série.  Expérimentation ? Réalisme ? David Simon a reconstruit une ville de Baltimore avec un coté mythologique. « On a fait des choix qui relèvent entièrement de la fiction et de notre point de vue politique. On voulait absolument une série qui pousse les spectateurs pour la légalisation de la drogue et déclencher un débat. La première saison c’est l’utilité de la guerre contre la drogue. La seconde saison c’était montrer la mort du prolétariat américain et pourquoi il y aura toujours des clients. La troisième saison on a voulu montrer ce que pouvait être la légalisation et les problèmes qui en découleraient. La quatrième saison aborder l’idée de l’égalité en Amérique était un terrible mensonge.  Et la dernière saison  c’est de montrer que si personne ne fait rien pour changer les choses que vous serez déçus pendant longtemps et la culture contemporaine et la ville en font quelque chose qui se nourrissent d’elles mêmes et qui perdurent. On aimait provoquer les débat et la question c’était pour stringer meurt ? Sauf à la fin de la dernière saison où les journalistes n’étaient pas contents ».

Les personnages marquants de la série dépendent du point de vue du spectateur. Le policier Mc Nulty, le jeune Bubbles, Le charismatique Stringer, la masculine Snoop ou encore Omar. Un personnage marginal et marquant. La fameuse question des spectateurs est évidemment pourquoi ce choix concernant Omar ?  « Omar c’était le mythe de l’antihéros et très important dans l’histoire. Tous les autres personnages dépendaient d’un institution et en fait parce que tous les autres font partie de ces institution trahissent à tous les niveaux et sans être inquiété. Et comme il avait adopté une attitude, une philosophie et il rejetait ce qu’il trouvait comme un jeu truqué. Il avait le droit d’exister là où les autres personnages n’avaient pas le droit. Mais ce n’est pas un choix qui peut durer très longtemps. Omar ne s’est jamais mis à genoux mais c’est Baltimore et les Dieux ne te sauveront pas ».

A découvrir : Baltimore, 900 pages 23 € Éditions Sonatine. The Wire, 5 saisons. Les Anges S’habillent En Caillera 246 pages, 7 €, Éditions Point, Des Chiffres Et Des Litres, Éditions Moisson Rouge, 16,50 €.

Rachid Santaki

Remerciements à Thibaut, Rania, Léo Haddad, Les éditions Sonatine et à Camélia.

3 réponses sur “David Simon, le fondateur de The Wire.”

  1. La meilleure série de tous les temps, selon moi.

    Voilà l’Amérique est l’Amérique, avec ses meilleur et pire côtés. On aime la détester mais au fond de nous, on aimerait en faire un peu partie, avec le sentiment futile d’être assez africains et/ou européens pour pouvoir la changer…

  2. Excellent article…Et quelle chance d’avoir rencontré le grand David Simon…

    Je conseille à tout le monde évidemment de voir The Wire puis aussi sa nouvelle série “Treme”
    sur la Nouvelle Orléans post-Katrina.

    Merci pour cet agréable lecture.

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