Akhenaton : L’autre face du rap français…

J’ai dévoré avec plaisir le livre d’Akhenaton, rédigé par mon ami Eric Mandel. Akhenaton, La Face B m’a permis de revivre l’histoire du leader d’IAM. Avec Chill, surnom d’Akh, nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises : « Revoir Un Printemps », « Soldat de Fortune » et à d’autres événements. C’est dans l’un des salons de l’hôtel K, pas loin du Trocadéro, qu’on se retrouve pour parler de son livre et de la B.O

L’idée du livre. Comment as-tu accepté et quelles limites as-tu mises ?
C’est assez compliqué. On a fait plusieurs entrevues. Un jour Eric Mandel est venu me trouver et m’a dit : « J’ai écouté certains de tes textes. Et à partir de là j’aimerais écrire une bio. » J’ai dit oui. Après il s’est passé un an et demi. Il fallait m’attraper. Il m’a un peu persécuté et on a profité du ramadan l’année dernière pour commencer. C’est la période à laquelle je fais moins de musique, je prends plus de temps pour moi. Les barrières que j’ai mises, elles sont plus sur le plan personnel.

Y a pas de règlement de comptes dans ton bouquin…
J’ai eu des questions dans les entretiens où j’ai été amené à parler des autres. Quand j’ai fait le rédactionnel, je me suis dit de ne surtout pas faire ce que je reproche aux autres. Pour des raisons humaines et religieuses, ce n’est pas bien. Quand on a les personnes en face, on peut en parler mais faire des notices explicatives, je ne me retrouve pas dans ce genre de situation.

L’anecdote avec les Assedic. Tu as bouché l’évier dans leurs locaux pour te venger, t’as pas eu peur qu’on te retrouve…
(Rires) Non, ça existe plus. C’est chaud, ils m’ont fait la misère. C’était compliqué pour moi, j’étais en vacances en Italie. Je reçois un appel, je me retrouve poursuivi par un juge au pénal, direct. C’est pas possible. Pour une chanson. J’ai eu la chance d’avoir un très bon avocat qui a désamorcé l’affaire avant qu’elle soit publique. J’avais peur qu’avec la grève des fonctionnaires (décembre 1995), je devienne le cheval de bataille de Juppé (ndlr Premier ministre à l’époque) : « Fonctionnaires, regardez, y a un rappeur qui parle mal de vous, je vais voler à votre secours. » Donc c’est pas devenu une affaire médiatique ou politique. À l’époque, les Assedic m’ont fait la misère. Je cotisais, et je faisais tout. D’ailleurs, actuellement, quand tu as le statut d’intermittent, on fait tout pour te démotiver et que tu ne viennes jamais demander tes droits

« Le hip-hop, c’est la principale culture des vingt dernières années »

C’est un peu le cliché de l’administration en France ?
Tu as des gens qui kiffent la paperasse, qui sont doués pour ce genre de choses. Après, les intermittents que je connais, ce ne sont pas des mecs qui sont dans les papelards. Certains intellectuels disent que le hip-hop est une sousculture, que c’est venu des États-Unis et que c’est pour ghettoïser les jeunes des milieux populaires… Le hip-hop, c’est la principale culture des vingt dernières années. On voit comment elle a eu un impact sur la société mainstream, sur la manière de s’habiller. C’est carrément le design du hip-hop, les attitudes du hip-hop, le verbal du hip-hop. Dans les années 80, même les Rolling Stones qui crachaient un peu sur le rap se mettent à faire des morceaux avec des break beats derrière. Je ne vois pas où est la sous-culture. Le hip-hop, c’est une influence majeure… C’est une prolongation de la soul. Sauf que la soul a été surexposée entre 68 et 76. Le rap est là depuis 25 ans, c’est la culture issue de la communauté noire qui a duré le plus longtemps. Et c’est celle qui a révélé le plus de talents, qui a été créative.

Je trouve que dans ton livre, tu réduis le rap à une musique d’immigrés. C’est un peu trop facile.
Prends Pete Doherty. Il est à l’hôtel à Paris, il se bourre la gueule, il prend deux trois trucs. Il arrache la moquette, les rideaux, il pète les meubles de sa chambre et se bat avec sa copine. Qu’est-ce qu’on en retient derrière ? Le rock’n roll, c’est un mythe. Maintenant prends un rappeur. Quelle est la différence ?
Y a un préjugé… … Dû aux personnes. Il est là. Je suis d’accord avec toi que c’est réducteur de dire que c’est une musique de minorités, mais c’est la réalité. Même nous les Blancs dans le rap, aux yeux du grand public, on est des Noirs. Tu es un méchant gangster noir, délinquant, multirécidiviste et islamiste de banlieue, armé de kalachnikovs.

Qu’est-ce que t’en as pensé, des propos de Morano sur les jeunes musulmans, le verlan et la casquette à l’envers ?
Écoutes, y a que son nom qui est un upgrade. Elle est d’origine italienne, mais elle ne vaut pas un clou.

La journée sans immigrés s’est mobilisée à la suite de ce énième dérapage. T’en penses quoi, des propos de Hortefeux, Morano ?
C’est gravissime. C’est pire qu’avant. Ils le disaient entre eux, maintenant ils le disent à la télé. Y a des historiens qui font du révisionnisme, des philosophes qui nous distillent leur philosophie, d’anciens trotskistes passés à l’extrême droite. C’est Éric Zemmour nostalgique de la vieille France. Éric Zemmour, c’est un punchliner moderne de droite. C’est-à-dire qu’il a compris comment il allait vendre son image et comment il allait vendre ses livres. Il en sort une par semaine : les pédés, les noirs, les arabes, les femmes. Tout ce qui énerve la droite dure de France, où il est sûr d’avoir son noyau qui le suit. Et ils le suivent ! Sur tous les blogs où tu parles de lui, ils sont là. Y a un collectif d’extrême droite qui bombarde tous les blogs, les forums. Ils sont une dizaine mais t’as
l’impression qu’ils sont nombreux.

«La violence qu’on a en Europe c’est de la violence sociale, que Zemmour se mette bien ça dans la tête.»

L’extrême droite utilise beaucoup le net.
Y a des journaux et des radios qui ne sont pas de droite et qui sont complètement verrouillés par l’extrême droite. J’ai eu l’occasion de parler avec Zemmour, j’ai fait trois ou quatre émissions en face de lui. Mais il ne dit pas grand chose quand je suis là. Je pense que lorsqu’il a quelqu’un qui a de la répartie en face de lui, il ne dit rien. C’est mon éditrice qui n’a pas voulu que je me lâche car je voulais y aller, j’ai voulu le traîner ! (Rires) Alors on va pas faire la polémique. J’ai eu l’occasion de parler avec lui en dehors et il a ses bonnes idées de droite. C’est pas le méchant. Ce que je lui reproche, c’est de se vendre et de trahir ses propres convictions, ses propres opinions, ses propres idées, pour fabriquer son personnage et toucher son salaire chez France Télévisions, vendre ses livres. Voilà ce que je lui reproche, c’est de ne pas avoir de droiture.

En réalité, il ne prend que des statistiques et ça a un impact auprès des gens qui ne connaissent pas la banlieue, c’est ce qui est dangereux…
C’est une vérité lyonnaise. C’est une vérité marseillaise. C’est une vérité parisienne. Il est parti nous distiller une vérité de grande ville. Et alors en France, c’est que des grandes villes ? Que des grands ensembles HLM ? Tu veux voir la population des prisons en province, en Bretagne ? C’est pas une vérité du pays. On ne peut pas dire des trucs comme ça. C’est pas possible de prendre un exemple. On part du principe que tous les délinquants sont noirs et arabes. Et c’est parce qu’ils sont noirs et arabes qu’ils sont délinquants. C’est ce qu’il nous explique.  Comment tu expliques qu’à Belfast il y a un tel taux de délinquance alors qu’il n’y a pas d’immigration ? Comment se fait-il que la ville la plus dangereuse en Europe soit Naples alors qu’il y a 98,7 % d’Italiens dans les ensembles HLM ? Ça veut dire 1,33 % d’immigrés. La violence qu’on a en Europe c’est de la violence sociale, que Zemmour se mette bien ça dans la tête.Quand les gens sont pauvres, certains font n’importe quoi. Je ne le cautionne pas. Pas du tout. Les trucs comme ce qui s’est passé à Grenoble, ce sont des dérives de la société qu’on voyait pas avant. En même temps, les sociétés d’Europe de l’Ouest ont toujours eu une forme de violence. Tout est lié. Je comprends pas qu’on ne parle pas de l’effondrement du communisme, du conflit dans les Balkans. C’est automatique. T’as un conflit en Europe à 3000 km de chez toi, la kalachnikov passe à 800 ou 1000 € alors qu’elle coûtait 5000 €. La différence est là : quand les jeunes ont les moyens de se payer une arme automatique ou un 11.43, ils le font.

Akhenaton La Face B, Éditions Points, 8€

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