17 ans de Haine…

Que ce soit à propos des cités des 4000 à la Courneuve ou de celles des Luth à Gennevilliers, les politiques et les médias nous montrent bien que la banlieue n’est décidément pas un sujet ordinaire. Épouvantail des services marketing des marques branchées ou de luxe, l’autre côté du périph’ a pourtant permis à certains de se faire un nom. Le film La Haine en est le parfait exemple. À l’occasion de son quinzième anniversaire, un dossier qui risque de faire grincer des dents.

La Haine est inspiré de l’histoire de Makomé M’Bowolé, tué d’une balle dans la tête le 6 avril 1993 par le policier Pascal Compain, lors d’une garde à vue dans le 18e arrondissement de Paris. Des émeutes ont éclaté entre les jeunes et les forces de l’ordre au cœur de la capitale. Au moment des faits, l’hebdomadaire L’Express publiait un papier, « Scènes de haine ordinaire à Paris ». Lors du procès, l’accusé a affirmé ne pas s’expliquer pourquoi il avait tué un jeune homme de 17 ans ; selon lui, c’était un accident. Finalement, la haine, c’est pour de vrai.

La Haine sortait en salle deux ans après cet évènement et traitait de deux sujets sensibles : les bavures policières et la banlieue. Le succès a été au rendez-vous, certains de mes proches sont allés le voir à deux reprises la semaine de sa sortie. C’est dire l’impact de La Haine sur les jeunes habitants des banlieues. Quand on habite à Saint-Denis ou aux Minguettes, la banlieue sur grand écran, avec trois personnages forts et la mise à l’image de l’ennui, forcément, ça nous parle. Saïd Taghmaoui et Vincent Cassel ont été propulsés au rang de stars et ont depuis construit des carrières internationales. Les journalistes, qui vivaient loin des tours de béton (et tous les problèmes qui vont avec), ont crié au génie, interprétant ce film comme un documentaire, comme le long métrage de la banlieue.

La France a eu « la haine » pendant plusieurs semaines, et le film a fait un score au box-office de plus deux millions d’entrées. « La banlieue » de Kassovitz est devenue branchée jusque dans les soirées du festival de Cannes, où les invités scandaient des « Ouaih » en réponse à « Vous avez la haine ? ». Mais le succès de La Haine a mis l’équipe de production du film mal à l’aise. Les auteurs des Guignols de L’info avaient réalisé une chambrette : «  Eh Mathieu, tu t’es fait des thunes avec nous. File-moi 100 balles. » Comme le film traite d’une vraie bavure policière, la gêne vis-à-vis de la victime et de sa famille est compréhensible. Dans les médias qui abordaient le sujet, Christophe Rossignon, le producteur du long métrage, déclarait : « On a pas voulu ça ». Le film a aussi eu ses polémiques. Selon une rumeur, Alain Juppé aurait organisé une projection spéciale du film et les officiers présents auraient tourné le dos à l’écran pour ne pas voir le portrait fait des policiers. Autre controverse, Jean-Louis Debré, ministre de l’Intérieur en 1995, a déposé plainte contre deux chansons extraites de la B.O. du film, produite par Delabel, Brigitte Femme de Flic et Sacrifice de Poulet,interprétéepar Ministère Amer.

Vendredi 30 avril 2010. Installé dans l’appartement du 18e arrondissement de Rockin Squat, on termine la partie de son portrait concernant son live à l’Olympia. Matthieu Cassel, je l’avais rencontré une première fois pour le spécial Wrung. On avait parlé de La Haine. Le premier film hip-hop selon moi, culte pour son grain, ses acteurs, et la mort d’Abdel Ichaha. On a tous perdu un proche, alors on se souvient de l’annonce de la mort d’Abdel par la journaliste et le silence qui a suivi. D’où vient l’omniprésence dans le film de la culture hip-hop, du mix du deejay Cut Killer Assassin de la police aux breakeurs qui dansent ? En 1995, la culture hip-hop était déjà bien en place. Le réalisateur, Mathieu Kassovitz, était parisien. À l’époque il traînait avec nous, il était autour d’Assassin, il avait filmé notre Olympia de 1993. De toute façon, s’il a fait La Haine, c’est parce qu’Assassin l’avait motivé à se pencher sur ce genre de sujet : les bavures policières.

On était déjà impliqués sur les crimes policiers, comme tu peux le remarquer avec L’État assassine, seul titre de la B.O. qui n’était pas inspiré du film. Il existait déjà, il était extrait de notre album L’Homicide Volontaire. Si Matthieu voulait ce morceau, c’est que dans le fond, c’était déjà le sujet de son film. Matthieu était à fond dans la culture hip-hop à l’époque, c’est normal qu’elle y soit présente. Le réalisateur primé à Cannes était donc autour d’Assassin. Pas difficile d’établir le lien entre Kassovitz et Vincent Cassel dans le rôle de Vinz… J’avais bossé en 1990 sur Fierrot le Pou, le premier court métrage de Kassovitz, tu m’entends à la fin. Mathieu, je l’ai vu arriver aux Halles. Vincent, c’est mon frère, et je l’ai branché avec Mathieu. Saïd Taghmaoui était avec moi depuis le début des années 90, il vendait mes tee-shirts pendant la tournée de 1993. T’as compris le délire ? Et le rôle que tient Hubert Coundé, c’est pas lui qui devait le tenir à la base mais Didier « Fly D » Castello, qui était un Requin Vicieux et le premier deejay d’Assassin. Mais ça ne s’est pas fait. Après, faut demander à l’équipe de réalisation et de casting pourquoi il ne l’ont pas pris.  Son avis sur La Haine : Pour moi, c’est le meilleur film de Matthieu parce que ce n’est pas que le film de Matthieu, c’est l’alchimie de tous ces gens. Je pense que Vincent, par son implication, son talent, sa collaboration et son amitié y a beaucoup contribué. Saïd, par son vrai vécu de banlieue et son implication, a beaucoup inspiré le scénario et les dialogues, a apporté une réalité palpable. C’est ce qui fait de ce film un classique. Et tu sais pourquoi ils l’ont tourné à Chanteloup-les-Vignes ? Je pense qu’ils ont visité pas mal de cités à l’époque. Je n’ai pas été assez proche du tournage pour savoir pourquoi ça a été tourné là-bas.  Un scoop, un vrai, concernant le malaise autour du film sur la banlieue et les bavures policières : Rockin Squat s’est embrouillé avec Kassovitz. La raison : Je me suis embrouillé avec Matthieu parce que je trouvais ça immoral de sortir un film sur les bavures policières et de ne pas donner d’argent en retour aux associations qui pouvaient défendre ces affaires-là, parce que quand tu perds quelqu’un victime d’une bavure policière, y a un jugement derrière, les familles sont plus dans le drame qu’autre chose. Une des conditions à notre participation à la B.O. était qu’une partie des thunes aille à des gens qui sont sur le terrain, et on a obtenu de Delabel, qui éditait la B.O., avec l’accord de Matthieu, qu’une partie des bénéfices soit reversée à la campagne « Justice en banlieue » dans laquelle on étaient impliqués. La Haine, un classique du cinéma français ?  C’est la première fois que chaque môme de banlieue s’est reconnu dans un film de qualité, et pour une fois sans passer pour une tête de con ou un sauvage. Ça a pesé.  Saïd Taghmaoui témoignait à l’antenne de France24 : « Dans La Haine, on a mis notre passion pour la culture hip-hop, la rue, toute cette culture urbaine. C’est un film de jeunes fait par des jeunes. »

L’intelligence de Kassovitz est d’avoir su réunir l’énergie et l’originalité de la culture hip-hop dans un film qui restera un classique et sûrement son seul succès.

Rachid Santaki

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